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Dialogue zoopoétique avec les vaches

Rassemblement avec les vaches pour les humains qui pensent que le langage créatif et l’empathie imaginative permettent la rencontre des humains avec les autres animaux. Immersion en estive ou en prairie.

Sous la forme d’un ensemble d’anecdotes, ce texte s’intéresse à la vie des vaches en s’efforçant de tenir compte de la perspective animale. Ce récit vise à témoigner des relations complexes entre l’univers des signes des vaches et la sémiosphère humaine. Le texte s’inspire d’expériences vécues en compagnie des vaches, depuis l’enfance dans un village du Brabant wallon à des rencontres récentes en Bohême-centrale en Tchéquie et au Val d’Azun dans les Pyrénées. Il oscille entre imagination et identification dans une empathie imaginative avec le troupeau et la vache sans nom que j’ai baptisée Naïa, sur fond de différenciation entre l’horreur de l’élevage intensif et l’élevage respectueux de l’animal, où la relation est première. Le récit se nourrit des expériences vécues par les éleveurs du troupeau de la performance.

L’idée de la performance est de faire place et de saisir en cours de lecture, sans forcer, les manifestations de cet enchevêtrement de sémiosphères, animale et humaine, dans un dialogue zoopoétique.

Extrait

Quatre pattes soutiennent ton corps de wagon-lit. Malgré ça, tu as la souplesse d’un Yogi, capable de t’envoyer un coup de langue sur la fesse dans une torsion arrière. Ton museau est un galet glissant et humide comme cette langue que tu infiltres dans ton naseau ou ce filet de bave qui scintille dans l’air. Ton pelage rouge pâle donne envie de te saisir au cou comme un enfant son poney, les poils de tes oreilles sont les plumes d’un nid d’oiseau. Tes yeux, cerclés de blanc à la façon d’un clown, sont calmes. Ils vexeraient le commentateur agité du « regard bovin ». Sait-il seulement que tu es myope ? En permanence, tu ajustes ta pupille à tout ce qui dépasse l’herbe. Mammifères au sol, nous le sommes aussi. William Cliff dit :

les hommes sont des mammifères

(car c’est ainsi qu’ils se présentent)

qui sur l’écorce de la terre

forment des bandes étonnantes

avec leurs pattes de derrière

ils se dressent bizarrement

ce qui fait courber leurs vertèbres

et leur donne du voûtement[1]

Qui de nous deux, jolie Naïa, est la mieux lotie ? Bizarrement, je me trouve plus disposée à la vie sauvage que toi. Je peux m’effacer au coin d’une rue, disparaître au creux d’un rocher. L’impérieux besoin de brouter te maintient dans une terrible visibilité. L’homme te dépouille de ta promptitude, il vole la vivacité de tes sens, jadis aux aguets.

 

[1] William Cliff, « L’espèce humaine » in Immense existence, poèmes, Gallimard, 2007, p. 125.

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